Le Femua 2019, 12e du nom, tirait sa révérence dans la nuit de dimanche à lundi, après son ultime soirée organisée dans la ville de Gagnoa. Sous la bannière « Genre et développement », le festival questionnait la place des femmes dans la société. Dans les débats et sur scène, elles auront joué les premiers rôles.
Photographie : Oumou Sangaré
Des amazones en mission
Oumou Sangaré, la diva du Wassoulou, le rappelait avant son concert : « Ça fait plaisir de savoir que la conscience de nos frères se réveille, qu’ils commencent à comprendre qu’il n’y a pas de développement sans la femme. » A’salfo, chanteur lead des Magic System et cerveau de ce festival unique en son genre enfonçait de son côté le clou : « Tant dans la vie politique que sociale, la femme n’a pas la place qu’il faut, car le mal n’a pas été traité à la racine. Si vous entrez dans une classe de CP1, que sur 80 élèves il n’y a que 15 filles, alors attendez- vous a ce qu’il y ait cette répercussion dans la société. »
Oui, cette année le FEMUA se posait la question du genre et de la place des femmes. Des sujets qui ont occupé les discussions du « Carrefour Jeunesse » dont les séances étaient suivies par plusieurs centaines de jeunes. Le thème a trouvé sa traduction sur scène, puisque la programmation des concerts géants d’Abidjan, les 27 et 28 avril, était strictement paritaire. Et de fait, cela faisait du bien de voir autant de femmes faire le show et incarner une féminité si sûre d’elle-même. Elles furent les vraies patronnes de ces nuits.
La même Oumou Sangaré, chanteuse et entrepreneuse, aussi à l’aise sur scène que lorsqu’elle parle affaires, en a fait une véritable démonstration. En ce vendredi, le public l’attendait avec ferveur. La Côte d’Ivoire, c’est aussi son pays, puisque toute l’Afrique de l’Ouest s’y retrouve. Et une partie des Ivoiriens, ceux qui parlent le dioula, comprennent sans filtre la saveur de ses textes. Après une introduction planante assurée par le groupe, la reine Oumou a fait son entrée, dans une robe de basin immaculée brodée de motifs scintillants, faisant écho à ses bagues et bracelets d’or.
Une petite heure durant, elle a embarqué le public dans un voyage pour le Wassoulou, sa terre qui autrefois (au temps de Samory Touré) comprenait une partie du Nord de l’actuelle Côte d’Ivoire. Au kamele ngoni et à la guitare, Abou Diarra et Guimba Kouyaté s’en donnaient à cœur joie, déroulant leurs solos taillés pour électriser la foule. Pendant ce temps, Oumou, appuyée par ses choristes, se laisse aller à la danse. Il émane de cette femme une classe et une autorité naturelle qui sont en eux-mêmes tout un discours. La chanteuse n’a pas besoin qu’on lui fasse une place… voilà bien longtemps qu’elle a décidé de la prendre.
Danse avec les genoux
Dans un autre registre, ses cadettes, l’Ivoirienne Claire Bailly et la Camerounaise Mani Bella ont cassé la baraque. « La Première Dame » du coupé-décalé et l’étoile du bikutsi, surnommées les deux « mamas de l’ambiance », avaient d’ailleurs signé il y a quelques mois un duo intitulé : « coupé-bikutsi ». Sur scène, toutes deux ont fait fureur avec leurs danseurs chevronnés, dans des shows menés tambour battant qui vous laissent la bouche ouverte et les genoux flageolants. Depuis son tube « Pala Pala » (2014), Mani Bella se permet tout, et surtout le meilleur : effrontée, taquine et coquine, elle dispose de ces trois qualités essentielles qui font les grandes du bikutsi. Elle est aussi, dans ses tenues aussi flash que sexy, une danseuse hors pair qui sait s’entourer. Les deux garçons qui l’accompagnaient ont rivalisé de folles acrobaties, ne faisant qu’activer l’incendie d’un public déjà conquis. Théâtraux, plastiques et surtout archi-doués, ils donnaient la réplique, avec leurs corps malléables à merci, à la non moins souple Mani.
La danse, elle était aussi présente dans le show d’Ariel Sheney, la coqueluche abidjanaise dont le public mercredi sur la petite scène reprenait par cœur toutes les chansons, explosant quand le chanteur lançait Amina, qui cartonne sur YouTube.
C’est que de la Côte d’Ivoire au Congo en passant par le Cameroun, on ne le sait que trop bien : la musique et le chant gagnent en puissance quand ils convoquent la danse. Les concerts du FEMUA en sont un bon indicateur, qui furent nombreux à présenter de véritables shows dont le rythme et les pas furent les maîtres mots. Une tendance que la Nigériane Chidinma, pourtant très attendue vendredi, n’a pas suivie à en juger par les deux danseuses plutôt ternes qui l’entouraient comme deux pots de fleurs attendant qu’on les arrose. Elles étaient loin du trio élastique de Femi Kuti, qui n’a pas hérité de son père qu’une tonitruante section de cuivres, mais aussi des « queens », ces danseuses-œuvres d’art, habillées et peintes aux couleurs de la nuit. Très loin des canons de beauté maigrichons qui épuisent les défilés de mode occidentaux, elles ont brillé dans la torpeur d’Abidjan, étincelantes de grâce et de sensualité.
Femi Kuti ne les a pas ménagées, enchaînant sans répit les titres anciens et récents, captivant un public majoritairement né après la mort de Fela, venu voir d’abord Kaaris. Femi lui-même s’activait en tout sens, frénétique, dansant, soufflant, chantant, dirigeant l’orchestre en même temps. Sans doute, d’après moi, un de ses tout meilleurs concerts. Comme si Anoumabo, et son public réveillait le meilleur de ceux qui s’y produisent… L’aîné des frères Kuti s’est adressé à la foule en français, mais aussi aux policiers, qui durent intervenir pour faire reculer une vague de jeunes gens poussant pour avancer vers la scène.
Et Kaaris arriva… Extra Musica aussi
Né en Côte d’Ivoire, le dozo (une référence aux chasseurs et guerriers traditionnels malinké) est arrivé portant le maillot orange de l’équipe nationale de foot. Les jeunes qui l’attendaient — mais combien de milliers étaient-ils ? — entraient aussitôt en transe. À plusieurs reprises, le rappeur dut appeler au calme, invitant aussi sur scène deux autres stars du pays, le footballeur Didier Drogba et le patron du FEMUA, A’salfo. Mais rien n’y fit : des palabreux, comme on dit en Côté d’Ivoire, finirent par en venir aux mains, jetant pierres et bouteilles et déclenchant un mouvement de foule qui entraîna la rupture d’une barrière de sécurité. Affaire… À quatre heures du matin passées, la police finit par tirer des lacrymogènes, et la pelouse de l’Institut national de la Jeunesse et des Sports se vida aux deux tiers. Ne restèrent que les vrais fanatiques de l’ambiance et de la musique. Et ils eurent raison…
À cinq heures du matin, comme un pied de nez aux jaloux saboteurs, la « soirée » reprenait… DJ Kerozen d’abord, et bien sûr Extra Musica, dont le leader Roga Roga est monté sur scène tandis que le jour se levait. Il était six heures du matin. Et tandis que les travailleurs du dimanche se réveillaient, le « lampadaire » et sa bande refaisaient monter la température d’un cran, enchaînant les tubes et notamment « Etat Major » qui propulsa tout le monde vers la danse, version débridée. Quand le concert se termina, peu avant huit heures, A’salfo et son équipe, ainsi qu’une partie des artistes faisaient déjà route pour le Gagnoa, dans le Centre-Ouest de Côte d’Ivoire, pour préparer la dernière nuit du FEMUA. Tout comme Claire Bahi, Kerozen et Molière, Kaaris était du voyage, revenant sur les terres de ses ancêtres. En arrivant en ville, il dansa même sur Magic in the Air avec les élèves d’une toute nouvelle école primaire, financée par la fondation Magic System. Cette école restera, comme désormais à chaque fois, un des souvenirs concrets que laisse, et pour longtemps, le FEMUA. La prochaine, annonce A’Salfo, sera entièrement réservée aux filles, dans la région où elles subissent le plus la déscolarisation. La classe, papa.